Sommaire : Trois questions à Henri Maître | L'actualité de la semaine | Enseignement | La recherche en pratique | Manifestations | Le livre de la semaine | Détente |
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Retenez la date : l'Asti organise sa première école d'été, à Saint-Malo/Dinard, du 1er au 12 septembre 2003. Thème fédérateur : l'image. |
"La réponse au besoin de protection nécessite aussi bien des travaux fondamentaux (théorie de l'information, de la complexité, de la démonstration) que des moyens de réponse rapide où le monde des chercheurs rejoint celui des hackers. "
Asti-Hebdo : Vous êtes un des spécialistes français de la protection des flux de données multimédia et notamment du tatouage. Comment cela s'inscrit-il dans vos responsabilités de recherche ?
Henri Maître : Dès 1996, j'ai poussé à l'émergence d'une activité de recherche sur ce thème, en proposant un programme "Cryptologie et tatouage" au CNRS, en collaboration avec Jacques Stern, de l'ENS. J'ai ensuite fait démarrer, avec Michel Riguidel (alors à Thomson-CSF), le projet RNRT "Aquamars", qui a regroupé les premières équipes vraiment engagées dans le tatouage en France. Par la suite, ce projet en a fait naître plusieurs autres.
L'idée du tatouage est de mélanger au signal utile (image ou son), un signal imperceptible pour l'utilisateur, mais de propriétés définies de telle sorte qu'il puisse être retrouvé avec des moyens appropriés.
Le tatouage se pratique depuis une dizaine d'années, mais ses fonctions évoluent. Au début, il s'agissait surtout de garantir un droit de propriété : marque du fabricant ou de l'artiste. Les applications qui ont eu le plus de succès ont été les images de revues, qui étaient pillées par des sites parasites. Le tatouage permettait, en allant visiter ces sites, de prouver la copie et de poursuivre les pirates en justice.
Aujourd'hui, nous nous intéressons beaucoup au traçage. Si une société vend un film (par exemple la finale d'un tournoi de tennis), pour cinq retransmissions par une chaîne donnée, mais que ce match passe un peu partout et des dizaines de fois, le marquage permet de prouver l'abus. Ce point prend de l'importance avec le DVD avec la télévision payante (pay per view)
Nous travaillons aussi sur l'intégrité des documents. On veut pouvoir garantir, par exemple, que telle photo d'actualité, prise sur un champ de bataille, n'a pas été retouchée. On tatoue alors avec des marques fragiles, qui ont toutes chances de disparaître à la retouche. Ici, nous n'avons pas encore atteint de solutions sûres. Les bons artisans de la retouche, même avec des outils communs du commerce, sont capables de résultats impressionnants et difficiles à détecter.
Ce dont les agences rêvent, c'est de pouvoir garantir que telle photo a bien été faite par telle personne et à tel moment. Il faut donc enregistrer l'auteur, la date et les marques d'intégrité. On combine alors des tatouages robustes et fragiles... une "sauce" un peu délicate. Nous avons encore des progrès à faire pour donner satisfaction au marché.
Plus généralement, la tendance est à utiliser le tatouage pour reprendre en numérique ce que l'on plaçait dans le "canal de retour" de la vidéo analogique. Arte et un petit consortium autour d'Arte travaillent à un projet novateur : l'utilisation du tatouage pour coder de petits avatars à l'intention des sourds. Les standards prévoient déjà une bande ad hoc. Mais les diffuseurs on tendance à la négliger voire à la supprimer. Le tatouage garantirait que ces informations restent bien en place tout le long de la chaîne.
Enfin, d'autres applications de l'image ouvrent d'autres perspectives. Par exemple, en imagerie médicale ou dans d'autres domaines où l'on exige des documents de très haute qualité, ceux-ci ne peuvent être comprimés. On peut alors se permettre d'y cacher des messages plus longs, car on supprime la très forte redondance nécessaire en général.
Asti-Hebdo : Tout cela semble relever de la pratique et de l'ingénierie. S'agit-il vraiment de recherche ?
H.M. La vraie question est plutôt : quel type de recherche peut réponde à cette demande du marché. Et plus généralement de la société. Il s'agit d'un besoin clair, bien défini, et urgent. Le retard du DVD et de certaines technologies tient en partie à des problèmes de protection mal résolus. L'absence d'un bon contrôle de la propriété est une limitation (sur le web notamment) à l'extension des échanges. Il pénalise tout particulièrement les petits artisans, les métiers d'art, qui pourraient grâce à Internet trouver un marché planétaire, mais qui ne s'y présentent pas pour ne pas se faire piller. Je pense notamment aux créateurs de dessins sur tissus ou de papiers peints.
Pour nous, chercheurs, cette demande nous a d'abord désorientés. Que pouvions-nous faire ? La question appelait une recherche en profondeur. Elle pose des problèmes théoriques passionnants, en théorie de la démonstration, de l'information, de la complexité. Que peut-on cacher ? Et dans quel document ? On ne peut pas tatouer une page blanche, par exemple (Mais il n'y a pas d'information dans une page blanche, donc pas de propriétaire.) Il faut donc réfléchir sur ce qu'est l'information (et l'information utile), et jusqu'où l'on peut aller pour y cacher de l'information supplémentaire.
Il y a compétition entre deux spécialités : cryptographie et traitement du signal. Les cryptographes garantissent une sécurité à dix puissance moins douze ou moins quarante, car ils travaillent avec des messages sans erreur de transmission. Nous n'allons que jusqu'à dix moins deux, ce qui est normal en traitement du signal, où l'incertain est de règle. De plus en plus, les deux disciplines sont conduites à coopérer. Car le tatouage a besoin de secret pour échanger des clés de vérification !
Mais la recherche fondamentale est longue à fournir des résultats. Il était donc indispensable de trouver un système rapide qui permette de mettre en place des solutions un peu "bricolées", mais suffisamment efficaces pour occuper le terrain et acquérir l'expérience nécessaire l'élaboration de méthodes plus solides.
Ce domaine très expérimental, à base d'essais et d'erreurs, se rapproche du monde des hackers. Ce sont d'abord les industriels de l'acoustique qui ont affronté le problème. Ils ont lancé des solutions de tatouage, et ils ont ouvert des sortes de forum sur Internet, en proposant aux hackers de les casser, avec forte récompense en cas de succès. Mais cela n'a pas bien réussi, car ces récompenses impliquaient le secret sur les moyens trouvés. Les hackers avaient dont l'impression de travailler pour les grandes firmes, et cela contredit à leur mentalité, pour ne pas dire leur éthique.
Pour l'image et la vidéo, au contraire, ce sont les gens de la communauté du tatouage qui ont monté leurs propres bancs, leur propres sites, et qui dont dit aux industriels : "Envoyez nous vos produits tatoués, nous vous diront s'ils sont robustes, et quelles techniques conviennent à tel type d'applications. Le dialogue s'est établi et a débouché sur des produits qui fonctionnent bien.
Asti-Hebdo : Comment arrivez-vous à faire coopérer des hackers et des doctorants ? Il s'agit d'univers bien différents ! ?
H.M. : Je ne vous cacherai pas que nombre de doctorants ont une mentalité qui n'est pas si éloignée de celle du hacker. En fait, il y a un continuum, depuis l'informaticien classique jusqu'au hacker, en passant par le développeur de logiciel libre, qui est favorable à des partages communautaires et qui est naturellement attiré par l'idée d'un univers de liberté, où toute protection de la propriété appelle l'envie de la casser ...
Dans le monde de l'image, les mentalités ne sont pas foncièrement opposées. J'ai vu soutenir, de manière aussi officielle que possible, des thèses sur les systèmes d'attaque des tatouages. Et les spécialistes des systèmes de protection ne peuvent les concevoir que s'ils perçoivent clairement les schémas qui permettent de les attaquer.
La recherche est très vivante dans ce domaine. En France, pour la recherche publique, les principales équipes travaillant sur ces questions sont celles du LIS à Grenoble, d'Heudiasyc à Compiègne, de l'Irisa à Rennes, du LIFL à Lille. Bref, une cinquantaine de chercheurs dans une dizaine de laboratoires
Mais les industriels sont aussi très actifs. Citons Microsoft, IBM, Xerox et, en Europe, Philips. En France Thales et Thomson Multimédia ont des équipes compétentes, qui participent à tous les projets européens. Thales a développé un modèle de caméra vidéo, à l'intention surtout des rencontres sportives, qui comporte un dispositif de tatouage en temps réel. Thomson Multimédia est l'un des experts du tatouage des DVD. Il y a aussi de bons connaisseurs chez Hachette, TDF, Vivendi, Canal +, Arte.
Si l'on regarde l'ensemble des participants aux projets lancés par le RNRT ou le RIAM, on peut évaluer la communauté française à quelque 200 personnes, qui coopèrent efficacement tout en appartenant à des institutions ou des cultures très diverses. Vous trouverez les principaux points d'accès sur la page web que j'ai placée sur mon site.
A l'appel de leurs syndicats, près de 200 chercheurs se sont réunis devant le ministère de la Recherche, rue Descartes, pour protester contre le budget de la recherche. La délégation, reçue pendant près de deux heures par un collaborateur de la ministre, n'a rien obtenu. A leur sortie, les déclarations de Jacques Fossey (SNCS-FSU) et Jean Omnès (SNTRS-CGT), sont allées dans le même sens que l'appel des scientifiques que nous reproduisons ci-dessous, et qui aurait recueilli, au moment où nous l'avons reçu à la rédaction, 5000 signatures.
La recherche scientifique joue un rôle déterminant dans la vie culturelle, sociale et économique d'un pays. Elle conditionne la qualité de l'enseignement supérieur comme le niveau scientifique et intellectuel de la population. Les demandes directement exprimées par la société en matière de recherche sont toujours plus nombreuses, diversifiées et complexes. Y répondre suppose un effort de recherche accru, en particulier dans la recherche publique sur laquelle repose, notamment, le développement et la transmission des connaissances.
Pourtant la France, comme la plupart des pays d'Europe, ne consacre qu'environ 2 % de son Produit Intérieur Brut (PIB) à la recherche alors que les Etats-Unis et le Japon, qui accentuent actuellement leur effort, atteignent ou dépassent déjà les 3 %. C'est sans doute pour cette raison que, répondant à une recommandation de l'Union Européenne, le Président de la République s'est engagé à ce que "la France atteigne 3 % du PIB avant la fin de la décennie". Cet objectif suppose, en volume, une croissance annuelle cumulée de 5 % par an du potentiel de recherche, public et privé, et de l'ordre de 7 % en prenant en compte l'inflation.
C'est donc avec consternation que les soussignés ont appris que le budget civil de la recherche baissera l'an prochain de l'ordre de 3 % en euros constants et que, symbole fort, des emplois de chercheurs seront supprimés. Ils craignent de plus que cette diminution prélude à une période de récession comme la recherche en a déjà connu au cours des dernières décennies, entre 1993 et 1997 en particulier.
Ce coup d'arrêt à la remise à niveau de ces dernières années, au demeurant beaucoup trop lente, aura des conséquences lourdes sur le dynamisme de notre recherche. Elle affaiblira, de plus, l'attractivité de la France vis à vis des chercheurs et étudiants étrangers comme vis à vis des entreprises, quant au choix du site d'implantation de leurs centres de recherche ou de leurs technologies de pointe. Elle aura des conséquences néfastes sur l'efficacité de la recherche industrielle comme sur la formation par la recherche de nos cadres. Bref, par ce choix budgétaire, la France entre amoindrie et à reculons dans l'espace européen de la recherche qui se construit et fragilisera ses coopérations internationales. Il est donc plus que jamais indispensable de donner aux laboratoires un potentiel humain et des moyens compétitifs avec ceux des pays les plus avancés.
Dans un contexte français et européen marqué par la stagnation, voire la diminution, du nombre d'étudiants et de doctorants dans de nombreuses disciplines de base, il faut donner un signal fort, marquant l'intérêt que porte le gouvernement à la recherche et à l'enseignement supérieur, afin d'attirer vers ces métiers les jeunes les plus aptes. Pour ce faire, il conviendrait d'afficher des perspectives de recrutement incitatives, de porter les allocations de thèse à un montant décent et de rendre plus attractives les carrières.
Les soussignés estiment indispensable que le gouvernement, par une programmation pluriannuelle de l'emploi et des moyens de la recherche, donne un contenu concret à l'objectif d'atteindre les 3 % du PIB. Ils demandent qu'une première étape soit franchie en ce sens dès le prochain budget. Pour le moins, ils souhaitent que le gouvernement respecte les précédents engagements, pourtant modestes, que l'Etat avait pris vis à vis de la recherche et de l'enseignement supérieur : plan pluriannuel de l'emploi scientifique, autorisations de programme votées, plans Etat-région.
Sur ce sujet, on pourra aussi consulter le rapport du gouvernement au Parlement.
Pierre Aigrain, âgé de 78 ans, nous a quittés, mercredi 30 octobre. Appelé par Yves Rocard a créer a l'ENS, en 1949, une équipe qui deviendra plus tard le Groupe de physique des solides, désormais un des plus importants laboratoires de notre université, il a été professeur à la faculté des sciences, puis opta avec détermination pour l'université Paris 7 où il enseigna jusqu'en 1978. Il a joué un rôle important dans la création de notre université.
Pierre Aigrain prit ensuite de hautes responsabilités dans la politique scientifique : directeur scientifique de la DRME (NDLR : Direction de la recherche et des moyens d'essais, au ministère de la Défense), directeur des Enseignements supérieurs, puis délégué général a la Recherche scientifique et technique. Il fut secrétaire d'Etat a la Recherche scientifique et technique de 1978 a 1981. Il devint alors directeur scientifique gén&eacue;ral du Groupe Thomson CSF. Il fut élu a l'Académie des sciences en 1998. Son influence fut déterminante dans la mise sur pied d'une politique de recherche européenne.
Il a initié, en France, la recherche sur les semi-conducteurs conduisant aux développements (transistors, lasers, circuits intégrés) qui sont à la base de l'informatique et de l'électronique qui façonnent désormais notre vie quotidienne.
Sa grande culture scientifique, son imagination féconde, son enthousiasme, son énergie et sa générosite ont laissé une profonde influence sur ceux qui ont travaillé avec lui. Pour ses élèves, il était, plus qu'un maître, un ami toujours attentif et disponible.
Jean Grisel, qui prépare chaque semaine la liste de diffusion de Paris 7, signale les documents suivants :
- Une série d'entretiens avec des collaborateurs de la première heure.
- L'article du Monde (5 novembre), signé de Pierre Le Hir
L'équipe de Cyberécoles a réalisé, sur son stand et dans l'espace "L'Ecole Communicante", plusieurs interviews vidéo d'enseignants, qui exposaient leurs projets pédagogiques avec leurs élèves :
- Afia
- Afig
- Afihm
- ASF - ACM Sigops
- Atala
- Atief
- Cigref
- Creis
- GRCE
- Gutenberg
- Inforsid
- Specif
Tantôt la biologie inspire directement la conception d'un matériel, par exemple pour la tolérance aux pannes. Tantôt elle intervient, plus indirectement, par les alorithmes génétiques (ou l'évolution artificielle, voir l'interview de Marc Schoenauer dans notre précédent numéro).
Les auteurs s'en donnent à coeur-joie avec le vocabulaire : immunotronique, architecture embryonnique, évolution "mixtrinsèque"... sans parler de la "soupe primordiale au silicium" !
Aux antipodes de la spéculation philosophique qu'ils peuvent inspirer, ces travaux débouchent sur les applications les plus prosaïques : amplificateurs, diviseurs de fréquence, têtes de sonars voire maintenance des ordinateurs. Mais les ambitions ne feront que grandir. D'autant plus que des mouvements symétriques s'inversent, avec l'implantation de puces dans les organismes notamment.
Julian Miller, Adrian Thompson, Peter Thompson, and Terence C. Fogarty (Eds.): Evolvable Systems: From Biology to Hardware Third International Conference, ICES 2000, Edinburgh, Scotland, UK, April 17-19, 2000. Proceedings
NDLR. Pour l'instant, la réalisation d'Asti-Hebdo n'utilise l'électronique que pour des fonctions d'assez bas niveau comme le traitement de texte et d'image et la diffusion des messages. Pour le reste, elle continue essentiellement fondée sur les processeurs biologiques de son équipe de rédaction. Mais demain, sans doute, sera-t-elle conçu sous une forme "évolutionnaire"et ... siliconée ? P.B.